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LE COMPLEXE MÉGALITHIQUE DE L'AZEROU

Folklore
REVUE D'ETHNOGRAPHIE MÉRIDIONALE
TOME XVII
27e Année - N° 1
PRINTEMPS 1964

LE COMPLEXE MÉGALITHIQUE DE L'AZEROU
(Commune de SAISSAC - Aude)

 

ETUDE PRELIMINAIRE
Dans son inventaire des « Monuments Mégalithiques du département de l'Aude », G. Sicard répertoriait deux menhirs dans la commune de Saissac, dans la Montagne Noire : celui de Picarel-le-Haut, atteignant 3,50 m au-dessus du sol, celui de l'Azérou, haut de 2,10 m. Ces deux monuments sont en granit local. A propos du second monument G. Sicard mentionnait en appendice un paragraphe à la signification assez ambiguë, ce qui nous incita à revoir le site : « Le monument est à 600 m au NordOuest des bâtiments de la ferme. Plus près de celle-ci, on remarque plusieurs pierres dressées de forme quadrangulaire, grossièrement ou même point taillées, de 1 m à 1,20 m de hauteur. Le fermier d'alors, M. Bonafous, m'a affirmé que ce n'était point là des bornes. Elles m'ont paru indiquer les restes d'un alignement triangulaire, dont les pierres subsistant encore formeraient les sommets. Elles sont entourées à la base d'une légère intumescence circulaire, composée de galets de granit placés de champ. Une étroite chaussée en pierres de même nature rejoint l'emplacement des pierres disparues dont on reconnaît la place à la saillie circulaire signalée plus haut. La principale de ces pierres droites est sur un point culminant à l'Ouest de la ferme et se laisse apercevoir de loin. » (1).

 

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De son côté, le Docteur J. Lemoine, dans une étude sur le Haut-Cabardès, décrit sommairement ce site : « ... Plusieurs menhirs plus petits sont disséminés sur le plateau à l'Ouest de la ferme de l'Azérou (Commune de Saissac); le plus grand a environ 2 m de haut. » (2)
Dans le cadre d'un travail d'ensemble sur les monuments mégalithiques du département de l'Aude nous avons jugé bon de visiter ce site afin de l'étudier plus profondément, d'en réaliser un plan et essayer d'en définir les principaux critères architecturaux.

(1) G. Sicard : Essai sur les Monuments mégalithiques du départe- ment de l'Aude, Bulletin de la Société d'Etudes Scientifiques de l'Aude, T. XXX, 1926, p. 226-227.
(2) Dl J. Lemoine : Le Haut-Cabardès, Bonnafous, Carcassonne, 1955, p. 23.

Le complexe mégalithique de l'Azérou - car il s'agit bien d'un « complexe » au sens premier du terme - ne comprend pas moins de huit pierres levées. Ce chiffre est certainement un minimum, car il est possible qu'il en existe d'autres cachées parmi les fougères, sans parler de celles qui ont été brisées (et dont il ne subsiste que le « socle »), celles qui sont tombées et sont peut-être enfouies sous la lande, celles enfin - peut-être les plus nombreuses - qui ont dû être enlevées et débitées par les entrepreneurs ou les aborigènes en quête de pierres monumentales à des fins de construction.
Ajoutons que ce premier travail n'a pu être mené à bonne fin de manière objective que grâce à une circonstance en ce cas de premier ordre : l'essartage récent de la majeure partie de la zone intéressée par le propriétaire des lieux. Ainsi, la disparition des fougères, ronces et autres éléments végétaux nous a permis d'avoir une idée à peu près complète de cet ensemble, chose pratiquement impossible à réaliser en temps normal.
Il y a donc huit pierres levées : toutefois leur érection n'est vraisemblablement pas contemporaine et nous aurons l'occasion d'insister plus loin là-dessus.

DESCRIPTION
Il existe d'abord, à environ 600 m au Nord-Ouest des bâtiments du domaine de l'Azérou, un menhir de granit. C'est le monument le plus imposant et aussi le plus connu du groupe. Il est de forme conique accusée ; sa section est grossièrement rectangulaire. Haut de 2,10 m, sa largeur à la base atteint 0,90 m. Le matériau paraît « usé », comme lavé par endroits et les particules quartzeuses y apparaissent proéminentes. Il s'agit visiblement d'une barre locale de granit présentant dans sa face sud le plan selon laquelle elle a été cassée. Cette pierre massive ainsi débrutie s'élève dans une dépression marécageuse, à côté d'un point d'eau (3). Aucune intumescence ne s'élève à son pied contrairement à ce qui arrive quelquefois. Çà et là des blocs naturels de granit, sans rapport avec le mégalithe, voisinent dans  la lande. A 80 m au Nord-Est du monument sont les ruines d'une construction rectangulaire de 25 x 15 m, subdivisée intérieurement en quatre « salles » d'inégales dimensions par deux ruines de murs croisés. A 10 m de l'angle Sud-Ouest, vers le 
(3) Le menhir de Picarel-le-Haut, situé à 3 km de là est égale- ment dressé dans une zone marécageuse. Ce dernier monument, de forme vaguement phallique, a, par contre, sa base débroussaillée et s'élève au centre d'une petite dépression artificielle due peut-être à des recherches désordonnées. La dégende veut que jadis les bergers s'asseyaient sur son sommet pour surveiller leurs troupeaux et qu'il grandisse chaque année davantage...

 

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Figure 1 : Plan du complexe mégalithique de l'Azérou (Saissac, Aude). Les cercles noirs correspondent à l'emplace- ment des pierres levées ;
les petites croix en oblique indiquent les levées de terre et de pierres. Le tertre ovalaire sur lequel est édifiée la pierre n° 6 est également représenté.

midi, à côté d'un bloc, émergent du sol les restes d'un bloc levé  et cassé : une partie en saillie faisant face au menhir présente une allure vaguement anthropomorphe (plutôt céphalique) et il n'est pas possible d'affirmer, en dehors de la présence de cassures intentionnelles, s'il s'agit d'une oeuvre d'art schématique ou d'une coïncidence révélée dans la taille du matériau.
A 350 m environ au Sud-Est de ce menhir s'élève, dans un champ à pente peu prononcée vers le levant, une deuxième  pierre de moindres dimensions. Elle est aussi en granit et sans aucune intumescence ou système de calage visible à la base. Elle est haute de 1,15 m ; large de 0,90 m ; son épaisseur maximum de 0,35 m. Sa section générale est rectangulaire, le sommet est arrondi. L'on peut voir à proximité au Sud les restes d'un mur (?) en blocs de granit d'envergures diverses se prolongeant vers le Sud-Est en suivant une dépression. Il s'agit de la « chaussée » dont parlait G. Sicard. Nous qualifions cet ouvrage de mur très dégradé, en donnant à ce terme un sens très général et sans présumer de sa signification véritable. La pierre levée n° 2 paraît sans rapport fonctionnel avec le mur ruiné.
Les autres pierres se dressent au Sud-Ouest de la pierre 2, en gros à 300 m du menhir 1. Il y a là six pierres dont les caractères généraux sont homogènes et qui sont indiscutablement liées sous l'angle fonctionnel et donc chronologique.

 

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Figure II : Taille proportionnelle et représentation schématique des pierres levées de l'Azérou.


La pierre principale n° 6 se dresse au sommet d'un tertre ovalaire long d'environ 120 m sur 60 m de large, orienté EstOuest. Ce tertre inculte présente la particularité d'être en partie structuré et il semble que cette hauteur soit par endroits artificielle. Elle est couronnée par une pierre levée (no 6) à section quadrangulaire et grossièrement appointée. Sa hauteur est de 1,15 m, sa largeur de 0,55 m ; son épaisseur moyenne de 0,30 m. Elle est calée, à la base, par des blocs qui paraissent avoir été récemment remués.
Entre les pierres 2 et 6 s'élèvent les pierres 3 et 4. Toutes les deux présentent la particularité d'être liées à la pierre 6 par les restes d'une levée de terre.
La pierre n° 3 est de même forme que la pierre 6 (hauteur 1,05 m ; largeur = 0,45 m ; épaisseur = 0,30 m).
A 38 m au Nord-Est de la précédente (3) il ne subsiste de la pierre n° 4 que la base, haute de 0,30 m, épaisse et large d'autant : elle est le reste d'une pierre de même type.
A 96 m à l'Ouest de la pierre n° 3 se trouve sur le côté Ouest d'un chemin vicinal plus ou moins désaffecté et à moitié cachée dans la fougère une autre pierre de même style. Elle est haute de 1,10 m ; large de 0,50 et épaisse de 0,35 m.
En direction du Sud--Sud-Ouest la pierre n° 6 est prolongée, à 170 m par une petite pierre dressée. Elle est aussi grossière- ment affûtée et en partie recouverte par les lichens. Elle est haute de 0,70 m ; large de 0,50 m ; son épaisseur maximum égale 0,30 m. Cette pierre n° 7 se situe en bordure d'un champ cultivé.
Enfin, toujours dans le même prolongement, l'on aboutit à la pierre n° 8 qui se situe en gros à la jonction de trois champs  cultivés. Elle est aussi de forme quadrangulaire, grossièrement taillée et affûtée. Sa hauteur est de 0,95 m ; elle est large de 0,55 m ; son épaisseur  maximum atteint 0,35 m.

DISCUSSION ET CHRONOLOGIE
La pierre n° 1 est un menhir authentique et paraît être sans rapport avec l'ensemble des pierres n° 2 à 8. Il peut dater en gros de l'Age du Bronze (Bronze Ancien Moyen ?) époque vers laquelle se place l'érection des menhirs classiques de nos régions.
La pierre n° 2 mérite aussi à notre sens le titre de menhir (4) bien que, de par sa forme, elle rappellerait plutôt certaines stèles plus tardives. Elle est plus régulière et sa chronologie nous paraît plus récente que le menhir n° 1, sans qu'il soit possible de préciser en chronologie absolue.
Quant au complexe formé des pierres 8, 7, 6,4, 3, il apparaît visiblement lié. Il existe une levée de terre qui relie toutes ces pierres entre elles (peu visible ou très dégradée entre 8-7 et 7-6 mais très net entre 6-4 et 4-3 où cet amoncellement tourne à angle droit vers l'Est à 10 m au Nord de 3).
Autre remarque : les pierres 8-7-6-3 sont grossièrement alignées sur environ 350 m. La pierre 5, à l'écart, jalonne peut-
(4) Elle rappelle, au premier coup d'ceil, le menhir de Guittard, près de Montolieu (Aude), mais ce dernier s'élève au centre d'une légère intumescence tumulaire ; un tertre identique n'existe pas dans le cas de la pierre 2 de l'Azérou.
être un alignement transversal (avec 4 et 2 ?) sans qu'il s'agisse en toute objectivité d'une droite parfaite. Cet ensemble de six pierres paraît d'âge plus récent que le menhir I et la stèle- menhir 2. Il s'éloigne en effet de ces deux monuments par des critères distincts : toutes les pierres sont - lorsqu'elles sont intactes - de même taille, plus ou moins quadrangulaires et ont le sommet grossièrement affûté. Ce qui frappe l'oeil au pre- mier aspect c'est leur caractère géométrique absent chez les menhirs classiques. Il est aussi difficile d'assigner à cet ensemble une date précise. Il est certain que le fait de dresser des pierres régularisées (faisant fonction de stèles ou de bornes ou encore à vocation indéterminée) remonte au moins au ler Age du Fer, mais a pu se poursuivre longtemps dans une région où le granit offrait un matériau de bon aloi. De plus, nous nous heurtons systématiquement à l'absence d'exemplaires de comparaison pour ce qui est approche de datation. L'hypothèse très prudente qu'il s'agirait d'une délimitation de terrain (et que confirmerait la présence d'une levée de terre, restes d'un mur ruiné) ne satisfait pas entièrement l'esprit et, de toutes façons, ne résoud en rien le problème chronologique. En effet, et en admettant comme plausible une telle hypothèse, serait-ce l'érection du mur qui avait eu pour corollaire le dressage des pierres ou l'existence d'anciennes pierres levées qui aurait tout naturellement commandé la naissance d'un enclos ? La campagne française n'est pas pauvre en monuments pré ou protohistoriques ayant entraîné un parcellement ultérieur. De toutes façons, sans vouloir vieillir les pierres 3 à 8 de l'Azérou, on ne saurait les rajeunir au-delà du Moyen Age classique. Enfin, il est toujours possible d'envi- sager la réutilisation de certaines.
Ajoutons enfin que tout ce complexe mégalithique est de provenance locale et qu'il n'y a pas eu de transport tant soit peu conséquent de matériau. Aucune pierre n'est christianisée.
En résumé le site de l'Azérou est de haut intérêt car l'Homme paraît y avoir dressé des pierres depuis l'Age du Bronze. Au superbe menhir-nord sont venus s'adjoindre des ajouts postérieurs formant des alignements dont il n'est pas possible pour l'instant de préciser la date d'érection. Quoiqu'il en soit, ce bel ensemble nous paraît digne d'être intrinsèquement conservé. De par sa structure, il est susceptible d'intéresser à la fois le préhistorien et l'historien, l'ethnographe et le géographe agraire.

JEAN GUILAINE

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