Journal de bord de l'Azérou - La moisson
- Par Erick FANTIN
- Le 20/01/2022
- Dans Vieux papiers
- 0 commentaire
Par Jean Michel
"La métairie de l'Azerou à Mademoiselle Benazet avait été léguée par celle-ci à l'hospice de Saissac. Des métayers, les Arribaud en assuraient l'exploitation et tenaient un
« journal » qui se trouve aux archives de Saissac et que j'ai pu consulter. Beaucoup de renseignements fournis par ce journal ont été utilisés ici."
Les Arribaud métayers de l'Azerou
"- Quel bon vent t'amène, Victor, dit Antoine Arribaud ; métayer à Saigne-Villemagne à son ami notaire qui descendait de voiture.
- Je viens pour affaire, répondit Victor Besaucèle. Je suis chargé par Demoiselle Marie-Rose Bénazet, la fille de feu Clément de chercher
de nouveaux métayers pour l'Azerou et j'ai pensé à toi.
Après forces discussions, les deux hommes parvinrent à se mettre d'accord sur les grandes lignes d'un contrat.
Le premier point concret étant la désignation de deux experts pour estimer la valeur du troupeau.
Après de longues et nombreuses discussions le contrat fut signé.
Aujourd'hui,
la Moisson
La moisson couronne le labeur de l'année.
Le soleil mûrit les épis "Las espigas fan la col d'auca, son plenas" (les épis se ploient comme le cou des oies montrant ainsi qu'ils sont pleins).
Le seigle mûr est jaune en bas. Trop mûr il s'égrène.
Au moment de la moisson, les ségaïres jettent quelques épis dans l'âtre et disent une prière à Saint Jean.
Que le cel é les sants de la Jérusalem célestiale te lauson per ieu o sant Joan. Que le solelh, la luna et las esbarlugentas estelos te beniscon per ieu
(que le ciel et les saints de la Jérusalem céleste, te bénissent pour moi. Que le soleil et la lune et les étoiles étincelantes te bénissent pour moi O Saint Jean).
Antoine aime entendre monter dans l'apaisant silence de la grande nuit du solstice,
cette noble prière languedocienne.
La Moisson commençait un lundi matin.
Les moissonneurs du village étaient là depuis la veille à préparer leurs volams qu'on battait et effilait.
Ils prenaient le repas du soir, le sopar, chez Antoine qui les avait embauchés (Qu'avia logar).
L'alouette poussait à peine sa première roulade, qu'ils attaquaient les grands seigles
qui avec un bruissement d'épis barbelés, ondulaient en longues et molles vagues.
Le maniement de la faucille est difficile. Le geste est beau, sculptural.
Il faut se coucher à demi pour saisir le seigle de la main gauche et le scier de la droite. Mais cela doit se faire sans à-coups.
Il faut rabattre la poignée de tiges à l'opposé du corps. Il est nécessaire que les lignes fassent un angle aigu avec la lame du volam
pour éviter que celui-ci ne glisse sur la paille et ne vienne entailler le petit doigt de la main gauche.
Aussi protégeait-on ce doigt avec un étui de bois.
Ce travail était pénible, une poignée de paille de la main gauche, un coup de faucille de la main droite,
un mouvement de rotation du corps pour déposer la javelle.
Voilà, c'est tout, mais il faut répéter cela des centaines de fois toute la journée.
Les moissonneurs « copaïres » posaient les poignées de seigle sur la javelle (gabélo).
Lorsque celle-ci était assez grosse, la lieuse tirait de la javelle, sur laquelle elle mettait le pied,
deux poignées de douze pailles chacune (ligan ou liges) qu'elle nouait ensemble et dont le bout était attaché
autour de la gerbe par la bilha, bâton de bois pointu.
C'est un tour de main difficile à prendre car il faut que les gerbes ne se défassent pas et qu'on puisse au moment du battage
les délier d'un seul geste.
Les gerbes étaient ensuite mises en tas (molhétas ou montas ). Elles étaient placées horizontalement en croix, les épis au centre.
On faisait des montas de vingt gerbes.
Les dernières gerbes étaient plus grosses que les autres surtout la dernière appelée « guirbauda ».
On plaisantait celui qui les chargeait sur la charrette et qui n'arrivait pas à soulever les dernières.
--- Aquel Mathurin, vol pas una pipa de tabac
--- Se bolega coma un ase mort
Et le diffamé de répondre
- Se mé fasion pas dinar amb de barras de cagaraulas ! Si on ne faisait pas manger des cornes d'escargot !
La « Guirbauda » avec sa ligature faite de deux poignées de douze pailles chacune (las lias) liées ensemble
en faisant deux tours avec une bilha ou ligadou fuseau de bois, en buis.
En effet en raison de l'énorme travail effectué par les moissonneurs,
il ne fallait pas leur donner des rigardelas à manger.
En arrivant aux champs, on « tuait le ver » avec un quignon de pain et un morceau de fromage.
A 7 heures on déjeunait avec les tripes de l'agneau qu'on tuait pour cette occasion.
A 10 heures on se reposait un peu en mangeant un bout de pain et en buvant un petit coup ! Cela s'appelait levar l'éga.
A midi, repos d'une heure et demi. C'était l'heure de la soupe avec un morceau de viande pour chacun.
Une petite sieste et le travail reprenait jusqu'à la nuit, en suppliant le soleil de se coucher vai t'en solelh à la couchada ; la prière exaucée, on rentrait à l'Azerou,
où l'on mangeait encore l'aiga bolida ou la soupe à l'oignon.
Lorsque le grain était sec, on transportait les gerbes sur l'aire et on commençait le dépiquage.
Ajouter un commentaire